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François Chaslin, passeur d’architecture et d’idées

Seize années à la présidence du jury du Prix René Pechère.

La disparition du chroniqueur français François Chaslin, à l’âge de 77 ans, ce jeudi 7 août 2025, a profondément attristé le Comité René Pechère à Bruxelles. Architecte, écrivain, historien autodidacte, journaliste, pédagogue vénéré, doté d’un fin coup de crayon, il fut l’une des figures marquantes de l’architecture française contemporaine. Né le 10 août 1948 à Bollène, dans le Vaucluse, il est décédé sur une plage du Finistère dans des circonstances qui rappellent étrangement celles du décès du Corbusier (dont il était le grand spécialiste). Il laisse un héritage singulier, nourri par la transmission et l’engagement, notamment en tant que président du jury du Prix littéraire René Pechère qu’il anima avec fidélité durant seize années.

Dès l’enfance, François Chaslin est guidé par un sens de l’observation inspiré de sa fréquentation au sein de l’École Decroly, une approche active de l’apprentissage qui forge chez lui une capacité à relier les savoirs et à percevoir les enjeux collectifs. Plus tard, diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Architecture, il développe une vision où l’innovation et la durabilité deviennent des axes fondamentalement intégrés à ses projets. Sa curiosité s’élargit encore lorsqu’il se forme aux sciences humaines à l’Université Expérimentale de Vincennes, après Mai 1968. Il s’y lie d’amitié avec Jean-Louis Cohen, historien majeur de l’architecture. Ces rencontres et cette ouverture au monde imprègneront toute sa carrière, où l’architecture devient un langage capable de dialoguer avec l’art, le théâtre et l’engagement social.

L’architecture comme langage universel

Directeur des Expositions à l’Institut Français d’Architecture (1980–1987) et Rédacteur en Chef de L’Architecture d’Aujourd’hui (1987–1994), Chaslin a contribué à mettre en lumière des figures encore peu connues et à nourrir un débat critique : Tadao Ando, Henri Ciriani, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel, pour n’en citer que quelques-uns. Francis Rambert, ancien directeur de l’Institut Français d’Architecture, souligne chez Chaslin « une approche littéraire, avec une sensibilité sociale, et un regard politique sur l’architecture, sans oublier un vrai talent pour le dessin ».

De 1999 à 2012, et grâce à Laure Adler, directrice de France Culture (et conseillère à la Culture sous la présidence de François Mitterrand), il a fait rayonner sa curiosité avec l’émission Métropolitains sur France Culture, passant avec aisance de la littérature à la musique ou au cinéma, transformant la critique architecturale en un espace vivant et accessible. Parallèlement, il enseigna à l’ENSA Paris-Malaquais jusqu’en 2012, insufflant une conception décloisonnée de l’architecture, indissociable des autres disciplines culturelles.

Sceptique quant à l’urbanisme moderne mais fervent défenseur de l’innovation et de l’expérimentation, Chaslin cherchait à y introduire des éléments durables - matériaux renouvelables, lumière naturelle - pour créer des environnements qui inspirent et renforcent les liens communautaires. Dans cette perspective, il partageait l’esprit de René Pechère, l’architecte de jardins belge qu’il admirait.

Passionnément littéraire

Écrivain prolifique, à la plume talentueuse, Chaslin était entouré d’une bibliothèque garnie d’un millier de livres. Son rapport à la langue et aux mots était libre et critique, sans adhésion doctrinaire. Il publia notamment « Les Paris de François Mitterrand » (1985), « Une haine monumentale » (1997), « Un Corbusier » (2014), qui fit débat sur les rapports de l’architecte avec les idéologies autoritaires (conférence autour de ce thème donnée à Bozar le 8 décembre 2015), et « Rococo » (2018), dialogue entre texte et dessin couronné par l’Académie d’Architecture. Son engagement intellectuel s’exprima également dans Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur et El País.

Dans son portrait de Le Corbusier, Chaslin abordait les débuts et le parcours d’aspirant architecte jusqu’aux années du régime de Vichy, interrogeant avec nuance son éventuel fascisme et son statut d’emblème de la Reconstruction et des années d’après-guerre. Il voyait dans la Cité radieuse de Marseille l’un des grands objets de la modernité, tout en soulignant les polémiques entourant la « machine à habiter ». Pour lui, Le Corbusier incarnait une modernité radicale, dont l’œuvre transforma l’architecture et l’urbanisme, mais son parcours politique et les controverses qui l’entourent nécessitent une lecture nuancée.

Chaslin, proche de l’architecture belge

Au fil des années, François Chaslin a cultivé avec le Plat Pays des liens d’une intime et féconde affiliation. Son admiration pour Victor Horta a trouvé des prolongements dans l’admiration qu’il portait à l’architecte belge Charles Vandenhove, qui, comme lui, cherchait à marier le classique et le moderne.

Grâce à Hugo Martin, archiviste à la Bibliothèque René Pechère à Bruxelles, François Chaslin rejoignit l’équipe du Prix Pechère. Il prit la présidence de la première édition du jury du Prix littéraire franco-belge René Pechère, distinction créée en 2008 sous l’égide de Jean Noël Capart et Paul Grosjean (prix organisé de 2008 à 2014 par la Bibliothèque René Pechère et repris ensuite, jusqu’en 2024, par le Comité René Pechère en collaboration avec le CIVA). Tous les deux ans, ce prix récompense un ouvrage francophone d’excellence consacré à l’art des jardins et du paysage. François Chaslin accompagnait les jurys, défendant rigueur scientifique, qualité d’écriture et richesse iconographique. Sa dernière présidence, en 2024, a distingué Jacques Moulin pour « Les jardins de Versailles - 1623-1715 », lors d’une cérémonie à la Galerie Bortier dans le centre de la capitale belge. François tissa également d’autres liens importants avec le milieu littéraire belge et des écrivains tels qu’Eugène Savitskaya.

Une telle fidélité témoigne de l’intérêt et de la curiosité qu’un humaniste et Européen comme François Chaslin portait à ses voisins d’Outre-Quiévrain. Nombreux furent les architectes belges (et français) qui, comme Xaveer De Geyter, Luc Deleu, Marie-José Van Hee ou Kersten Geers, à l’instar des récipiendaires du Prix René Pechère, à connaître les honneurs de son émission Métropolitains. Cette fidélité rejoint aussi l’esprit de René Pechère, créateur d’espaces remarquables et défenseur du patrimoine, qui voyait le jardin comme un lieu sacré où chacun trouve sa place dans la nature (cfr. Expo 58).

Quand Chaslin rencontre Pechère…

Jean Noël Capart, ancien président du Comité René Pechère, souligne avec émotion la personnalité de son ami… « L’héritage de François Chaslin perdurera, car il avait ce don de maîtriser les outils médiatiques au service d’un débat intellectuel ouvert, exigeant mais non élitiste, sur l’architecture, la ville et la société ». Et d’ajouter… « Pour sûr, s’ils s’étaient rencontrés, René Pechère et François auraient certainement uni leur pensée en faveur de la pérennisation de la culture et du patrimoine ».

— 2 Septembre 2025 —