Prodige du design

Le designer belge Charles Kaisin est passé par l'agence de Jean Nouvel et le Royal College of Art. Il a différents domaines de prédilection et articule son travail autour de 3 axes : la scénographie, le design d'objets et l'installation artistique.
La plupart de ses œuvres, telles que le K-Bench, la Hairy Chair et Newspaper Extendable Bench, sont imprégnées des concepts d'extension et de recyclage. Il expérimente toutes sortes de matériaux comme le verre, la céramique, le papier, le cuir,… pour aborder le design dans un champ élargi, qui va des pralines de chocolat à l’aménagement d’un riad à Marrakech, et qui interroge les limites de l’espace et de l’objet.
Il a collaboré avec des marques telles que Hermès, Rolls-Royce, Cartier, Delvaux, pour n'en citer que quelques-unes, et réalise de nombreux projets dans le monde entier. Il a inventé le concept de dîner surréaliste qui prend une dimension internationale dans le monde du luxe et de l'art. Rencontre.
Comment votre parcours a-t-il débuté ?
J’ai une formation d’architecte à Saint Luc. J’ai toujours considéré l’architecture comme un enseignement, pas une finalité. La formation architecturale catalyse très bien la vision créative et l’esprit plus scientifique et rationnel.
J’ai ensuite étudié le design à Londres et au Japon. J’imagine mes scénographies en tant que designer, avec ce bagage architectural, et je reste évidemment très sensible aux belles architectures que j’ai la chance de croiser. Je pense notamment à la rénovation de la Bourse à Bruxelles, que je trouve très réussie, ou à l’attention portée de plus en plus sur les espaces publics, ce qui est une très bonne chose.
Je suis très amateur d’art contemporain, tout en étant défenseur du patrimoine. On peut toujours valoriser un bâtiment en le projetant dans l’avenir. Je suis aussi très sensible à la tradition architecturale scandinave ou japonaise, qui allie minimalisme et force du détail. En fin de compte, je ne suis pas partisan d’un cloisonnement entre les disciplines : Olafur Eliasson est un artiste contemporain qui a réalisé la 'Maison du Fjord' pour famille fondatrice de Lego, et qui est devenue un bijou d’architecture.
Comment vos activités se développent-elles ?
Nous organisons diverses activités en parallèle. Il y a d’abord les diners surréalistes entamés il y a 13-14 ans. Ensuite, je dessine des produits et plusieurs projets pour différents éditeurs. Enfin, il y a les installations d'origamis avec lesquels nous réalisons des œuvres monumentales, conçues pour un lieu déterminé.
Comment les diners s’élaborent-ils ?
Un des premiers critères des diners surréalistes est le lieu, qui doit d’emblée dégager une signification. Nous en avons déjà réalisés à Tour & Taxis à Bruxelles, dans l’ancien garage Citroën, dans une piscine, dans une église à Bâle, dans un champ, dans une forêt en Italie, dans un gratte-ciel au Brésil, dans une station de métro, au Palazzo Vecchio à Florence (où un orchestre symphonique, puis Katy Perry ont joué pour 280 invités), à Versailles, au Centre Pompidou à Paris, dans une librairie à Hong Kong… A chaque fois la recherche du lieu est une véritable bataille, en vue d’obtenir les autorisations, mais elle est une des composantes indispensables des évènements que nous voulons créer.
Les diners se préparent au minimum 6 mois à l’avance. Le timing de préparation et de réalisation est aussi un élément primordial. Tout est minuté pour l’exécution du repas. La scénographie est d’une extrême précision. Le temps s’inscrit également dans une chorégraphie particulière, ainsi qu’un cheminement, adaptés au lieu. Les costumes sont en relations avec les enchaînements scénographiques. Nous travaillons avec des prestataires de choix, comme Pierre Marcolini ou Cédric Grolet, et généralement des chefs étoilés. Les accessoires aussi sont dessinés par moi, tous les détails sont pris en compte, jusqu’aux serviettes.
C’est finalement assez proche d’une mise en scène d’opéra. C’est une création éphémère qui implique énormément de personnes, beaucoup de synergies, pour faire émerger les émotions à travers les sens. Dès la réception de leur invitation, qui est généralement un objet ou une création qui se démarque par sa conception, les convives sont emportés dans un univers unique et envoûtant. C’est une invitation au voyage qui valorise nos sens, dans une expérience immersive. Nous effectuons des répétitions, comme au théâtre, pour tester la lumière, la synchronisation.
Et pour ce qui concerne les installations?
Au Japon, l’origami sert à réaliser un vœu pour une personne. Cela implique un rituel très précis. Il sert aussi aux enfants pour leur apprendre la dextérité et la géométrie. Ce sont toutes ces notions que l’on retrouve dans mes installations.
Les constructions d’origami cherchent ainsi à révéler un lieu particulier, lié au patrimoine historique ou non. Les galeries de la Reine, par exemple, offraient un prestige particulier pour ce type d’installation. Combiné avec un diner évènement scénarisé, avec une table de 103 mètres de long, les effets ont été absolument stupéfiants. Comme l’architecte, j’analyse le contexte référentiel et situationnel, ainsi que l’historique du lieu. Je cherche à faire vivre aux invités une aventure spatiale et artistique. Je puise dans la littérature, dans la philosophie, et dans toute une série de disciplines des sources de réflexions qui, petit à petit, composent le projet final.
Des origamis ont été installés au Palais de Tokyo à Paris, à BOZAR, dans la cathédrale Saint-Michel, au MUCEM à Marseille ou au musée du design de Londres. Nous essayons à chaque fois de comprendre le lieu de la manière la plus aboutie, et de réaliser un repérage minutieux qui nous révèlera jusqu'aux détails cachés du site.
Comment développez-vous la conception et la réalisation de vos projets ?
Nous travaillons beaucoup en 3D. Cela permet de situer la relation entre l’espace et les formes que nous voulons créer, et de travailler sur la lumière. Nous construisons d’abord un organigramme qui reprend les différentes données spatiales et les points forts du lieu analysé. Nous réalisons ensuite des plans de montage et des plans de démontage. Nous avons par exemple réalisé un dôme composé de 12.000 oiseaux en origami pour les galeries Printemps Haussmann à Paris, qui reprend l’idée d’un dôme de lumière qui avait existé au même endroit, et qui avait disparu à la suite d’un incendie.
Il y a ensuite toute une équipe de production, qui s’adjoint parfois des ateliers extérieurs, mais tout est réalisé en Belgique. Certains projets peuvent aussi être participatifs et impliqué la population, mais nous effectuons généralement les installations nous-mêmes.
Avez-vous des préférences pour des matières particulières?
Le travail sur les matières est essentiel. Elles doivent bien sûr être résistantes au feu, et être facilement exploitables. Les matières et les formes sont liées au contexte. Je n’ai pas de préjugé de matière, et je considère que la lumière et les couleurs sont aussi des matières. C’est le lieu qui impose le minéral ou le végétal, ou une matière plutôt qu’une autre.
Quels sont vos commanditaires, comment traiter-vous leurs demandes ?
Les clients qui viennent nous voir ne sont pas nécessairement issu du domaine artistique. Nous cherchons à canaliser et à hiérarchiser leurs demandes, et à organiser les échéances. Il y a à la fois une obligation de moyen et de résultat. Nous parvenons à conserver une liberté créative, dans la mesure où les clients potentiels ont déjà une idée claire de ce que nous réalisons. Cela nous permet de pousser le critère de l’imagination le plus loin possible, dans une singularité que je souhaite toujours respectueuse et positive.