La beauté civile
Splendeur et crise de la ville de Giancarlo Consonni. Jamais, dans l’histoire, on n’a construit autant que de l’après guerre à aujourd’hui, et même que de 1955 à nos jours; et jamais on n’a produit autant de laideur.
Alors que la recherche de la beauté pour les corps, le vêtement, les objets, souvent sous forme d’injonctions distillées par toutes les propagandes de la mode et de l’image de soi, accordées au rythme d’une consommation industrielle à la fois et paradoxalement standardisée et vécue comme individuelle, devenait un trait distinctif de l’époque où nous vivons, le visage du monde a subi un enlaidissement si puissant qu’il semble, dans l’ordre civil comme dans l’ordre écologique, presque irrémédiable. Les villes, tout particulièrement, en ont souffert — devenant souvent non seulement les symptômes, mais les causes du mal qui les affecte.
«Beauté», «laideur»: c’est très sciemment, et parfois de façon polémique, que Giancarlo Consonni reprend ici les notions mêmes sur lesquelles la modernité, singulièrement tardive, a jeté la suspicion, les reléguant dans un passé révolu, et dans ce qu’elle baptisait du nom d’idéologie, comme telle prétendument dépassée pour laisser place ardemment à un autre rapport aux choses et à l’espace dont nous mesurons aujourd’hui le résultat. L’auteur, afin d’éviter la critique si prévisible et convenue de ces notions, devenue un véritable pont aux ânes, prend soin d’adjoindre le qualificatif de «civil», appelé non seulement par le sujet qu’il traite, la ville, mais par une tradition philosophique et juridique très vivante en Italie depuis Vico. Deux questions parcourent les textes formant la matière de ce livre: quels sont les secrets de la beauté urbaine que nous avons héritée de l’histoire, et d’où prend-elle naissance? Quelles sont les causes d’une si vaste extension de la laideur?
Pour répondre à ces deux questions essentielles, Giancarlo Consonni emprunte quelques itinéraires où s’entrelacent passé et présent; il les parcourt avec virtuosité, selon les voies de l’analyse mais aussi de la promenade amoureuse: la relation à la nature dans la fondation des villes et leur récit, la relation entre ville et campagne chez un penseur de la civilité comme Carlo Cattaneo, les jeux infinis de la lumière et de la couleur dans les villes italiennes, la révolution urbaine liée à l’architecture moderne et les effets souvent fâcheux qu’elle a produits, la question de la mesure dans le bâti et l’urbanisme, les symptômes visibles de la dégradation civile, etc. Ces analyses confirment la fécondité de la notion de «beauté civile» formulée par Giambattista Vico, et déclinée après lui, au moment même des premières transformations industrielles, par les deux grands esprits que furent Romagnosi et Cattaneo. La beauté des villes et de l’architecture a trouvé le lieu et pour ainsi dire le terreau de son développement dans les liens civils, dans la tension vers une identité collective profondément attachée à ce qui peut donner sens et raison, donc représentation, à la manière d’habiter le monde. La crise actuelle de la beauté urbaine et des paysages renvoie à une crise bien plus vaste, dont l’auteur examine les causes sans renoncer à indiquer des issues possibles.