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L'intelligence artificielle infuse l'architecture

Le journal ’Les Echos’ indique que les architectes n'ont pas attendu ChatGPT pour se saisir de l'IA. Cependant, la technologie interroge la profession sur ses évolutions, concrètes ou fantasmées, et ses applications, à peine amorcées, sur les chantiers.

L'intelligence artificielle (IA) infuse tous les métiers de l'architecture. Portée par l'éclosion de logiciels qui embarquent ces outils ou par l'évolution des programmes existants, la conception générative fait figure de bond technologique. « Les trois grandes contributions de l'IA à l'architecture sont la performance, la multiplication des options et la recherche esthétique », résume Stanislas Chaillou, architecte et data scientiste.

Les capacités de prédiction et de simulation de l'IA permettent d'aller plus vite dans les étapes préliminaires, de tester davantage d'hypothèses et de banaliser des analyses jusqu'alors coûteuses et complexes à mener. « D'un seul brief, basé sur un jeu de contraintes, ressort une multitude de solutions à explorer, ouvrant le champ de réflexion à l'infini », précise le spécialiste.

Sur le plan opérationnel, l'IA représente un gain de temps et d'efficacité. « L'automatisation et la fonction itérative des logiciels nous délivrent des tâches laborieuses et normatives, en amont du projet et jusque sur le chantier », indique Hidekazu Moritani, associé chez Studios Architecture.

Lors de la phase d'exécution du projet du nouveau hub dédié à l'IA de Google France , dans le 9e arrondissement de Paris, l'agence a travaillé avec la technologie de la start-up Buildots, destinée à contrôler l'avancement des travaux grâce à des casques équipés d'une caméra.

« Les algorithmes de vision effectuent des relevés vidéos des chantiers qui sont analysés et comparés aux données de la maquette 3D, afin de délivrer un rapport précis des écarts entre la construction et la modélisation en termes de conformité mais aussi de respect du planning », explique David Guichard, associé chez Studios Architecture. L'une des premières applications concrètes de l'IA.

Naissance d'une nouvelle imagerie

Démocratisée par Midjourney ou ChatGPT, l'IA générative a donné naissance à une esthétique inédite, née de la recombinaison des poncifs - par exemple, à la croisée du gothique et de l'haussmannien - puisant dans une base de données universelle pour créer des images aux frontières du réel.

« Les modèles d'IA avancés sont capables de générer des images simples comme exceptionnelles. Pour les architectes en quête d'innovations visuelles, ces outils sont une aide à la créativité », observe Philippe Morel, architecte et enseignant. Si la technologie a déjà pénétré la culture visuelle des architectes, une certaine méfiance, voire défiance, persiste. « Une partie de la profession ne la prend pas au sérieux et oppose créativité artificielle et naturelle », concède-t-il.

A juste titre ? « Les réponses spectaculaires donnent l'impression d'une porte ouverte à une architecture plus sensationnelle mais moins réaliste, impossible à reproduire », tempère Stanislas Chaillou qui redoute, par ailleurs, une standardisation des images artificielles.

L'architecte et perspectiviste Olivier Campagne a pris le contrepied de cette mouvance en faisant de l'ordinaire l'objet de ses expérimentations. « En introduisant un paramètre aléatoire, je recherche l'effet de surprise et l'inattendu », explique-t-il. Pour s'approprier l'IA, il utilise le logiciel Stable Diffusion avec ses propres cartes graphiques et bases de données. Une maîtrise de l'outil et un contrôle des images nécessaires, selon lui, au déploiement de l'IA à grande échelle. « Nous devons être les curateurs de nos images et laisser le réel reprendre la main sur la machine », affirme-t-il.

Terreau fertile numérique

Si l'effet waouh de Midjourney stimule les imaginaires, l'architecte Umberto Napolitano y voit aussi une forme nouvelle de langage, nourrie de ses non-sens et hallucinations. « Imprévisibles, les résultats générés par les prompts [les instructions données à l'IA, qui l'interprète ensuite pour produire un résultat, NDLR] nous poussent parfois hors de notre zone de confort. Ils réinterrogent la narration de nos projets architecturaux », raconte-t-il.

Conscient de la nécessité de hiérarchiser les priorités, parmi les milliers de propositions formulées par la machine, il reste néanmoins fasciné par la liberté apportée par ce terreau fertile numérique. « Ce qui est beau dans l'expérience de l'IA, née de l'univers internet de ces vingt dernières années, c'est son détachement vis-à-vis des traditions architecturales et des postulats politiques, historiques ou culturels », estime-t-il. Une nouvelle page de l'architecture est-elle en train de s'écrire ?

Oui, mais avec des limites. Convaincu que la machine assistera l'homme dans les procédures automatisées et préfabriquées, lui dégageant ainsi du temps pour la réflexion créative, l'architecte et urbaniste Jacques Ferrier s'interroge sur la désirabilité des projets conçus par l'IA. « Je doute que des bureaux dessinés par Midjourney donnent envie aux salariés d'abandonner le télétravail », avance-t-il. A la fonctionnalité, l'architecte allie la dimension sensible, qui échappe totalement à l'IA.

« Un bâtiment se construit en relation avec un quartier, des habitants, un environnement, une histoire, avec lesquels il crée des résonances », poursuit-il, prônant un retour à « la ville sensuelle », où les ambiances et les sensations l'emportent sur le virtuel. Face aux séductions du numérique, il mise sur la fabrique de la ville réelle, au sens propre du terme, bâtie sur la vie collective et les ressources locales, en harmonie avec le climat.

— 24 mars 2024 —